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karl marx - Page 8

  • Vers l'Ouest rien de nouveau

    Contre-lettre encyclique dédiée à Claire F., moraliste, et Myriam T., dissidente catholique.

    J’achève tout juste la lecture de la lettre encyclique de Benoît XVI sur l’Espérance (Spe salvi) que j’ai jugé bon de croiser avec une lecture du Port-Royal de Sainte-Beuve. Où le fameux critique entreprend une analyse, sinon exhaustive du moins sagace, du jansénisme, de ses préliminaires jusqu’à ses chutes.

    Sauf à faire preuve d’un négationnisme imbécile, on est forcé d’admettre l’influence du christianisme sur les différents courants de la pensée moderne occidentale. Même Marx, réputé athée, cite souvent le Nouveau et l’Ancien Testament ; quant aux théoriciens de l’athéisme : Diderot, Nitche, Feuerbach ou Sartre, d’une manière ou d’une autre, tous, même si Feuerbach est de loin le plus logique, empruntent le cheminement de la pensée chrétienne avant de s’en écarter.
    Le jansénisme lui-même a eu de l’influence sur le christianisme. Port-Royal pouvait, me disais-je, procurer du recul.

    *

    Mais étant donné les obstacles aujourd’hui au dialogue et à la critique historique et théologique, l’esprit partisan qui règne partout, le petit préambule suivant s’impose :

    Certains théologiens ont critiqué récemment le principe de l’érection d’un pape au rang de saint, quels que soient ses mérites avérés, afin de ne pas provoquer une confusion entre le spirituel et le temporel.
    Il y a la même ambiguïté dans le fait pour un pape de publier des écrits théologiques sous son nom, y compris (surtout ?) des ouvrages de vulgarisation.
    Rome conserve le dépôt de la Foi sur lequel l’Eglise est solidement bâtie jusqu’à la fin des temps. Lorsque le pape s’exprime à titre personnel sur des questions théologiques, on risque de le prendre pour infaillible, de le transformer automatiquement en Père de l’Eglise.
    Aussi certains fidèles ou clercs idôlatrent-ils presque le pape ; la moindre de ses allocutions devient parole d’Evangile, l’esprit critique tourne à l'apologie.
    D’autres fidèles en revanche, sous prétexte que tel ou tel pape tient des propos hérétiques, s'en vont fonder leur propre église orthodoxe.
    La coutume multiséculaire du dialogue au sein de l’Eglise, gouvernée par la certitude que “la Vérité rend libre”, semble éteinte… au moment même où l’œcuménisme, le dialogue avec les autres religions chrétiennes est à la mode !?

    *

    Voilà, toutes ces précautions prises, je ne peux m’empêcher de penser qu’on vit une époque, si ce n’est désespérante, du moins foncièrement oiseuse.
    Mais Joseph Ratzinger, en tant que théologien, invite lui-même à la critique.
    Cela posé, autant le dire franchement, dès les premiers paragraphes mon espoir de voir le pape forger des critères nouveaux pour une nouvelle croisade a été encore déçu. Comment ne pas distinguer dans Spe salvi les accents d’une réforme janséniste ?
    D’où Sainte-Beuve. Celui-ci se place assez bizarrement, sans doute pour des raisons de convenance personnelle, du côté des jansénistes, tout en gardant l’œil clair et la mesure.
    À propos du jansénisme, Sainte-Beuve recommande de ne pas y voir une doctrine parfaitement cohérente, mais plutôt quelques leitmotivs. Idem pour saint Augustin, le docteur préféré de Jansénius, lu et relu dix fois, qui inspire le plan janséniste.
    Le plus simple selon Sainte-Beuve est de voir le jansénisme “grosso modo” comme une tentative de réforme sur les mêmes bases que la réforme de Calvin, hors la rupture avec Rome. L’enquête de Sainte-Beuve porte donc seulement sur le plan spirituel et non historique.

    *

    Quels sont les principaux leitmotivs jansénistes repris dans l’encyclique de Benoît XVI ?

    1- La morale, notamment sexuelle, est un leitmotiv de Saint-Cyran et Jansénius comme de Calvin. Jansénius approuve le synode calviniste de Dortrecht (1678) et sa condamnation du pélagianisme. Pélage, contrairement à saint Augustin et à Calvin, ne place pas le péché originel au centre de la religion chrétienne, il ne fait pas de la purge le principe de la vie chrétienne.
    De manière caractéristique, Jansénius considère que le péché vient de la concupiscence, de la “libido”, qu’il trie en trois variétés (dont la “libido” du savoir).
    À plusieurs reprises, si la traduction française est exacte, Benoît XVI évoque la "saleté" et le besoin de purification, proches de l’idée d’hygiène morale très présente chez Calvin, de l’ascétisme puritain des jansénistes. Il consacre même un paragraphe au purgatoire et au “feu purificateur”, ce qu’une encyclique sur l’Espérance n’impliquait pas forcément.
    Le pape affirme d’ailleurs son Espérance dans la justice divine avant tout (n°44-47).

    2- En outre Benoît XVI se réclame à moitié de deux théologiens mineurs, Horckheimer et Adorno (n°42). Je ne cache pas qu’avant d’être choqué par l’esprit général de cette encyclique, j’ai été surpris par de telles références dont on peut se demander ce qu’elles viennent faire au milieu de “pointures” telles que saint Augustin, saint Paul, voire Francis Bacon, Luther, Marx ou Kant, auxquelles Benoît XVI fait aussi appel…
    Proches du judaïsme, Adorno et Horckheimer sont en effet attachés à l’interdiction vétéro-testamentaire (sic) de façonner des images de Dieu. L’iconoclasme de Calvin, qui a entraîné la destruction de nombreux retables, est encore plus fameux.
    Bien sûr Benoît XVI assigne des limites à la doctrine iconoclastes et à l’influence du judaïsme sur le christianisme ; mais comment pourrait-il en être autrement ? Calvin lui-même n’est pas un pur iconoclaste et ses zélateurs ont largement débordé le cadre souhaité par leur chef.

    (Il faut à à cet endroit signaler une réalité qui distingue l’Eglise catholique d'aujourd’hui de celle d'hier : elle a presque cessé de produire de grandes images religieuses. Dès le XIXe siècle, ce mouvement était amorcé puisque les meilleurs peintres, Delacroix, Ingres, nonobstant les commandes d’art sacré qu’ils honorèrent, se tenaient eux-mêmes hors de l’Eglise et se voulaient plutôt “libre-penseurs”. Sur ce point l’Eglise aujourd’hui n’est donc pas différente du monde extérieur.)

    3- La doctrine "iconoclaste" permet de faire la transition avec un troisième aspect, le plus important, auquel Benoît XVI accorde beaucoup de place, c’est la négation du progrès et de la science. Encore un leitmotiv janséniste, illustré par le scepticisme assez hautain de Pascal, notamment. « Les inventions des hommes vont en avançant de siècle en siècle : la bonté et la malice du monde en général reste la même. » ; le point de vue de Benoît XVI sur la marche du monde (n°24,25) est ici assez bien condensé par Pascal.
    (Baudelaire est beaucoup moins sceptique qui dit, lui : « Il n’y a de progrès que moral. »)

    Comme il règne à propos des notions de science et de progrès la plus totale confusion désormais, à la suite des saucissonnages de Kant notamment, précisons un peu ; le pape lui-même donne des détails sur sa façon de voir les choses. La science à laquelle il dénie tout pouvoir relativement à l’Espérance, c’est celle de Francis Bacon et de Karl Marx, nommément visés, la Renaissance et le communisme.
    De fait le classicisme de Bacon et celui de Marx sont très proches et Benoît XVI n’a pas tort de les rapprocher. Les humanistes de la Renaissance tendent, comme Marx, vers le réalisme et l’objectivité ; et l’image, la métaphore, est au centre de leur méthode dite “phénoménologique”. Pour Marx comme pour les humanistes de la Renaissance, la politique et l’art sont indissociablement liés, comme deux montants d’une même échelle qui mène à la Vérité pour Marx, à Dieu pour Bacon ou Léonard. Marx hérite cette conception de Hegel, lui-même héritier d’Aristote.
    Cette négation des effets de la science dite “humaniste” entraîne Benoît XVI à assimiler presque complètement l’Espérance à la Foi. Dans une encyclique sur l’Espérance, la Providence et l’Esprit-Saint ne sont pas directement évoqués !

    4- Un éclair de Sainte-Beuve, c’est de comprendre que le jansénisme, pas plus que le calvinisme, ne postule l'idée de prédestination, mais que celle-ci se déduit des idées jansénistes.
    L’hypothèse de la "grâce" découle du puritanisme, de l’iconoclasme, de la négation du progrès. Sorti du contexte politique et artistique, l'homme est réduit à son comportement moral ; dans ce schéma la grâce, don gratuit de Dieu, s’impose. Et comme la grâce est manifestement le don le moins bien partagé du monde, l’idée de la prédestination de tel ou tel parachève le raisonnement.
    Autrement dit : le jansénisme est le rapport que l’homme entretient avec sa propre “essence”. La grâce est ce qui le relie à Dieu, faute de quoi il étouffe.

    L’exemple de l’esclave soudanaise cité par Benoît XVI en exergue de son encyclique est typique. Opprimée par ses propriétaires successifs, Joséphine Bakhita est sauvée par une conversion quasi-miraculeuse en Italie. La politique n’a pas de place dans ce genre de récit où Dieu s’entremet directement : “Deus ex machina” (n°3,4).

    *

    Sainte-Beuve n’a pas tort d’insister sur le manque de cohérence du jansénisme. Car comment concilier la prédestination, la “plus-value” (sic) des grâces, avec le prosélytisme fanatique de saint Paul ?
    En effet, si les jansénistes élèvent saint Augustin au rang de l’apôtre Paul, ils n’évacuent quand même pas saint Paul complètement de leur doctrine.
    Les jansénistes réussissent le tour de force de ne citer que les versets “existentialistes” de saint Paul, ce qui étant donné son caractère de militant n’est pas facile. Comme quoi les Jésuites n’ont pas l’apanage de la langue de bois.
    Benoît XVI cite notamment Ep. 2, 12, où saint Paul parle de l’“homme intérieur”, en liant cette expression de l’apôtre Paul à l’exercice spirituel et à la grâce. En l’occurrence l’homme intérieur dont parle saint Paul dans sa lettre aux Ephésiens est l’homme fortifié par la révélation et confirmé par l’Esprit saint. La force de l’homme dont parle saint Paul lui vient de l’extérieur et non d’exercices spirituels ou de l’ascèse.

    *

    Il convient enfin d’élever le débat au-dessus d’une simple querelle entre le point de vue janséniste et le point de vue classique, d’en rechercher la logique supérieure.

    La permanence même de la dialectique, “scientifiques” d’un côté, “sceptiques” de l’autre, consacre à mon sens la rationalité de Hegel.
    Apparemment l’encyclique du pape a été plutôt bien reçue dans l’ensemble par le clergé occidental et par ses ouailles (sauf peut-être à Rome même).
    Rien de plus logique de la part du mouvement charismatique, inspiré ouvertement par la réforme protestante, et nostalgique lui aussi de l’Eglise primitive.
    Les milieux traditionnalistes, proches de feu Mgr Lefebvre, à qui le pape a fait quelques concessions liturgiques récemment sont, eux, plutôt des nostalgiques du Moyen-âge et de saint Thomas d’Aquin ; le décalage vers l’antiquité romaine ne les bouscule pas beaucoup.

    Plus largement, la philosophie “existentialiste” occupe le terrain en Occident où chacun peut, à la carte, choisir comme son parfum d'existentialisme ; certains clercs n’hésitent plus à se réclamer de la morale de Nitche (!) ou de celle de Heidegger (!!) ; c’est à la fois parfaitement incongru et parfaitement logique.
    Ici c’est Aristote, Machiavel ou Joseph de Maistre qui fournissent l’explication. Lorsqu’on refuse de s’élever au niveau de la politique, on tombe au niveau de la morale, où Benoît XVI se situe, sa conception de la grâce ayant en outre une connotation “capitalistique” (n°35).
    Mais la morale sans la politique n’a pas de sens.
    La morale janséniste de Benoît XVI, sa théologie, n’est pas libre. Elle est presque entièrement dictée par le contexte politique qui enferme toutes les religions, en dehors de la religion de l’homme pour l’homme, dans le cadre exigü de la sphère morale, pour mieux les étouffer.
    Les Etats-Unis incarnent bien cette théocratie d’un genre nouveau où l’homme place sa foi dans la solvabilité de son prochain beaucoup plus que dans sa sainteté.

    Au lieu de justifier la nécessité de briser le cercle où la religion dynamique de l’Occident, où le progrès et l’espérance ont été enfermés, comme à force de bêtise, Benoît XVI justifie au contraire de ne pas briser ce cercle !
    Au n°42 de sa lettre, le pape écrit : « L’athéisme des XIXe siècle et XXe siècles est, selon ses racines et sa finalité, un moralisme (…) »
    C’est ce genre d’idéalisme qui me paraît le plus hérétique, le plus nuisible. L’athéisme, en tant que religion, on ne peut nier que l’athéisme soit une forme de religion païenne, implique une morale. Mais selon ses racines l’athéisme est une anthropologie… chrétienne. C’est-à-dire une théologie !
    Chesterton est beaucoup plus près du diagnostic juste que Benoît XVI. Et c’est hélas la théologie de Benoît XVI qui est un moralisme selon ses racines et sa finalité, non pas l’athéisme !

    Si le paganisme, au-dessus duquel la raison grecque s’élève en tentant de délimiter l’espace et le temps, si le paganisme antique est un panthéisme, où la Nature a force divine, les penseurs néopaïens, Nitche ou Heidegger, en décrétant la fin de l’histoire et du progrès, ont créé un paganisme nouveau où l’Homme a force divine, une fiction totale (la Nature des païens, elle, est bien réelle), hors du temps et de l’espace, niés absurdement par des sophistes aveugles et sourds : un “gogothéisme”.
    On ne peut que se désoler de voir Benoît XVI flirter avec ce genre de philosophies qui déshonorent la pensée occidentale et justifient d’une certaine façon le mépris des musulmans et des orthodoxes pour les démocrates-chrétiens, désormais prosternés devant leurs gadgets.

    Renoncer à la Renaissance catholique en échange d’une sorte de nostalgie de l’Eglise primitive incarnée par saint Augustin paraît peu propre à tirer l’Eglise de l’état semi-comateux dans laquelle elle se trouve.
    Dans la droite ligne de théologiens français qui, de Baudelaire à Claudel en passant par Bloy et Péguy, ont fustigé le byzantinisme allemand, je définis Benoît XVI ainsi : “Un cardinal qui indique l’Orient.”

  • Marcher sur la tiare

    Ancien condisciple de Joseph Ratzinger, Hans Küng a tenté dans un bouquin de persuader le pape du progrès théologique que représente Hegel (en vain).
    De fait il serait temps pour l’Eglise catholique d’abandonner les ratiocinages juridiques dépassés, inspirés de Thomas d’Aquin, et à plus forte raison encore l'épistémologie inepte de Kant, de Popper, ou l’existentialisme crétin. Même le ludion Sartre a jugé plus prudent de se convertir peu avant de mourir plutôt que de tout miser sur le néant.
    Si l’Eglise catholique reste paralysée sur son grabat de préjugés démocrates-chrétiens, on peut penser que les catholiques seront balayés en Occident par le fanatisme orthodoxe, allié à la raison communiste. Il ne manque plus qu’un Savonarole, un saint Paul, pour redonner aux Russes entièrement confiance en eux et dans le destin de la Russie.

    *

    Hegel anticipe notamment avec lucidité la métamorphose de l’art en une sorte de prurit philosophique qu'on ne peut éviter aujourd'hui, la moindre réclame aujourd'hui constituant un petit sophisme mesquin.
    N’importe qui est un peu sensible est à même de comprendre le dynamisme spécial de Hegel. Mais les démocrates-chrétiens sont de véritables Philistins.

    À la décharge de Benoît XVI, et comme Marx l’a remarqué, la pensée de Hegel reste marquée par l’idéalisme bourgeois. Hegel "marche sur la tête” et ses efforts louables pour être en prise avec la réalité historique auraient été insuffisants si Marx n’avait pas révolutionné la dialectique de Hegel. Par conséquent les propositions politiques, pratiques, de Hans Küng portent le plus souvent la marque d'un idéalisme idiot, pas très convaincant.
    La vérité finit toujours par s’imposer par sa force au plus grand nombre ; ainsi le christianisme s’est imposé dans l’empire romain comme une traînée de poudre, les vieilles idoles païennes n'ont pas résisté au progrès chrétien.
    D’une certaine façon le nouvel alliage entre christianisme et communisme a déjà pris en Amérique du Sud et en Russie. Quel intérêt le pape peut-il avoir à s’accrocher aux vieux fétiches de l’Occident bourgeois, la laïcité positive, les séries télévisées américaines, le cinéma français, la religion de la Choa, l’existentialisme ? Laissons ça aux abonnés du “Monde” et du “Figaro”, entrés en phase terminale.

  • Mon sermon du dimanche

    Quel meilleur antidote aux sermons chrétiens nitchéens des paroisses officielles qu'un sermon chrétien marxiste dissident ?

    Benoît XVI reprend à son compte une partie de l'analyse de Marx. Il faut dire qu'aujourd'hui il faudrait être un chrétien aveugle pour ne pas reconnaître le caractère mafieux du régime démocratique capitaliste. Ou être un chrétien-démocrate soi-même incorporé dans la mafia : la racaille démocrate-chrétienne gaulliste qui sévit au "Figaro" me paraît être un bon exemple de trahison ostentatoire de la morale chrétienne.

    Comme les mafieux vont à la messe, les démocrates connaissent par coeur le petit catéchisme des "Droits de l'homme". Et regardez-les exhiber sur les plateaux de télé cette ex-musulmane convertie à la religion laïque. Cela ne rappelle-t-il pas les conquistadors qui ramenaient au pays quelques exemplaires indigènes d'Amérique sur leurs galères ? Moins brutaux peut-être en apparence, mais plus sournois et moins curieux, tels sont les néocolonialistes.

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    Mais Benoît XVI reproche à Marx son "matérialisme", voire le condamne. Qu'est-ce à dire ? En quoi Benoît XVI et Karl Marx, deux champions de la raison grecque, à la suite de saint Paul, ennemi juré de Nitche, divergent-ils ?

    On remarque surtout que Marx est plus clair : ce que Benoît XVI appelle "sécularisme", Marx l'appelle "anarchie". Ce que Benoît XVI appelle "excès de raison", Marx l'appelle "bêtise". Appeler un chat un chat, et un cochon un cochon, voilà qui est fait pour plaire à un Français comme moi, étranger au romantisme bourgeois.

    Ce que Benoît XVI reproche à Marx, en vérité - le sait-il ? -, c'est son sens aigü de la hiérarchie, digne d'un grand peintre. Les artisans de paix parlent en paraboles ; l'euphémisme est du langage de "technicien supérieur", d'expert, de philosophe ou de théologien libéral.

     

     

     

  • Misère de la bourgeoisie

    Ce que la bourgeoisie ne pardonne pas à Marx, c’est qu’il ne se contente pas d’affirmer qu’on est passé d’une élite qui pense à une élite qui dépense : il le démontre.
    Alors que les soubresauts de la mondialisation, la délocalisation massive de la production industrielle des pays occidentaux vers la Chine, c’est-à-dire le tiers-monde, le début de la fin de la dissuation nucléaire et/ou des réserves de pétrole, devraient projeter Marx et sa vision radicale, historique, éclairée d’un jour nouveau, sur le devant de la scène, des laïcards gauchistes aux démocrates-chrétiens, les bourgeois s’entendent pour enterrer Marx, qui a prévu leur châtiment ; non pas un châtiment divin, mais un châtiment politique, de l’humanité par l’humanité.
    Au contraire, Pangloss, qui se prolonge parfaitement dans la face de batracien impavide d’un Guy Sorman, Pangloss règne et il a tribune ouverte dans les gazettes.

    (Il est une espèce de bourgeois “à part”, ce sont les “royalistes maurrassiens”, une espèce quantitativement très réduite, il est vrai, et qui ne communie pas aux mêmes valeurs bourgeoises, qui préfère les valeurs bourgeoises de la IIIe République : ce sont à la fois les plus sincères et les plus bêtes. Méprisés par l’oligarchie en place, ils ne sont pas moins solidaires du régime. La douche froide reçue par Bernanos, Maritain, ou encore Nimier, voire Drieu, auraient dû les échauder ; mais non, vu qu’ils n’entendent rien à rien.)

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    Ça va me prendre plus de temps que prévu de lire le 18 Brumaire de Louis Bonaparte. C’est un petit ouvrage, mais très touffu, plein de références et de précisions historiques, l’antidote parfait à la propagande démocratique.

    « (…) C’est pourquoi aucune autre période ne présente un mélange de grandes phrases et d’incertitudes, de gaucherie dans les actes, d’aspirations plus enthousiastes à l’innovation, et de domination plus fondamentale de l’ancienne routine, d’une harmonie plus apparente de toute la société et d’une aliénation plus profonde de ses éléments les uns vis-à-vis des autres (…) »
    K. Marx dans Le 18 Brumaire à propos de la Révolution française de 1848, période-clef pour comprendre le hold-up bourgeois.

  • Table rase de la télé

    Quelques propos inquiets entendus ici ou là à la télé dans la bouche de petits pions, comme quoi on ne pourchasserait pas assez les néo-nazis, la peste brune terroriste-révisionniste qui sévit sur le ouaibe - surtout le ouaibe 2.0 ! -, propos complétés par la suggestion de prendre des mesures policières plus radicales vis-à-vis des fauteurs de troubles "underground", ces propos indiquent que certains journalistes ou littérateurs redoutent la concurrence qu'internet pourrait faire à leurs PME-PMI spécialisées dans l'aplanissement des consciences.

    Hélas, comment croire à une telle issue (favorable), alors que dans l'ensemble le ouaibe se contente de recopier les slogans diffusés dans les médias, quand il ne cultive pas la vulgarité promue en "prime time" par la télé, pour ceux qui trouvent la méthode Cauet ou Sarkozy un peu trop "light" ?


    En revanche, tout laisse penser comme Marx que les outils de l'économie capitaliste moderne, le marketing, la spéculation boursière, les tours de passe-passe comptables et monétaires, la division du travail à l'échelle mondiale, les gratte-ciel de béton, le travail des femmes, l'importation de travailleurs clandestins, et l'internet également, contiennent un principe autodestructeur à plus ou moins long terme, un principe qu'il faut désigner, non pas par un euphémisme délicat : le "rationalisme", comme Benoît XVI dit, mais par son vrai nom : la bêtise.

  • Marx pour les Nuls

    Ce qui rend les études historiques antidémocratiques, c’est la lenteur, les précautions, la technique, les efforts qu’elles exigent. Il a fallu pas moins de vingt ans à Marx pour peindre un tableau à peu près cohérent et dynamique de l’économie bourgeoise.

    En revanche la philosophie est tout à fait adaptée à notre régime. Une année de philosophie en classe terminale est suffisante pour apprendre le maniement de quelques syllogismes de base, le bagage intellectuel à la fois minimum et maximum pour un journaliste, un publicitaire, un député, un artiste conceptuel ou un cinéaste.

  • Marx pour les Nuls

    Jean Bricmont, physicien belge auteur d'Impostures intellectuelles, proche de certains constats métaphysiques de Claude Allègre ou de Benoît XVI, caractérise la politique néocolonialiste et démocratique occidentale ainsi : elle repose sur l'hypocrisie !
    D'où l'actualité brûlante de Marx. L'hypocrisie, qui était une vertu sociale, la classe bourgeoise en a fait un véritable fléau politique qu'elle nomme "démocratie". Bien sûr la démocratie reste en grande partie théorique ; si comme Michel Rocard le souhaite elle était effective, nous serions déjà tous morts.

    Contre la conjuration des imbéciles, on pourrait imaginer une sorte de conjuration de têtes pensantes raisonnables. Ça serait complètement utopique.

  • Frayeurs de bobos

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    Ce qui me frappe chez le dessinateur Cabu, une des rares “valeurs actuelles” que j’admire, c’est son anachronisme. Son talent, dans le lignage de Daumier, Bofa, Caran d’Ache, Sennep, “par-delà gauche et droite”, est anachronique. Son héritage et ses références : Homère, la Bible, bref la littérature universelle - anachroniques aussi.
    Ce travail acharné et patient pendant des lustres, deux ou trois idées par jour dressées sur le papier, "sur le métier chaque jour remettez votre ouvrage", ça non plus n’est pas commun de nos jours où les artistes et les philosophes bricolent des formules comme un magicien sort des lapins de son chapeau à double-fond ; à notre époque où les publicitaires - Andy Warhol, Beigbeder, Séguéla, Sarkozy -, tiennent le haut du pavé (au royaume des démocrates-crétins…)

    *

    Il y a donc un principe d’honnêteté chez Cabu. L’anachronisme de ses idées politiques, en revanche, participe de la médiocrité ambiante. Il faut qu’il dessine avec des œillères pour ne pas voir que "les mollahs, les curés et le Front-National" (belle synthèse des frayeurs bobos !), n’ont aucun pouvoir chez nous.
    Le ministre de l’Intérieur Sarkozy à la barre des "accusés" de "Charlie-Hebdo", c’est tout un symbole que Cabu a "oublié" de dessiner. Sarkozy était d'ailleurs plus à sa place dans cette parodie de justice en faveur des immondes cochons danois que Cabu et Charlie-Hebdo.
    Le meilleur des mondes, c’est fait, on y est, les forces du mal, les mollahs, les curés et le Front-national, ont été réduites à néant, Cabu n’a plus qu’à se taire et à mourir en paix !

    Selon Marx, pour que les idées acquièrent de la force, il faut qu’elles sortent des cénacles et des clubs élitistes pour se propager dans toutes les couches de la société. Les bobos peuvent dire merci à Charlie Hebdo pour ce travail de diffusion de leurs idées. Et surtout merci à Cabu, étant donné que ses comparses, le “rasoir” Philippe Val en tête, n’ont pas le dixième de son talent.

    Mais après tout Goya lui-même n'était-il pas un "salaud" ?
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  • Demain la révolution ?

    On dit parfois d’untel qu’il “s’est dépensé sans compter” pour une cause qui le dépassait. Je crois qu’on peut dire ça de Marx ; son mariage brillant avec Jenny von Westphalen était pour Marx l’assurance d’une carrière à faire pâlir de jalousie un BHL, un Finkielkraut ou un Luc Ferry - plus sérieusement, d’une carrière à la hauteur de celle de Hegel, si Marx n’avait pas refusé le poste qu’on lui proposait à l’Université d’Iéna pour se consacrer librement à la révolution.
    Non pas une révolution “matérialiste”, comme certains béotiens le prétendent, mais une révolution spirituelle, bien que Marx fût un bon vivant aimant le vin, avec un côté “rabelaisien”, ça n’empêche ; au contraire, on sait où la spiritualité puritaine qui plaît tant aux bonnes femmes, mène.

    Les ravages de la mondialisation donnent aujourd’hui raison à Marx. N’est-il pas significatif que même le champion de l’immobilisme permanent, François Bayrou, se réfère aujourd’hui à Marx dans le Figaro ? Entre parenthèse il n’y a qu’un lecteur de ce canard décadent pour ne pas se rendre compte que Bayrou fait dire à peu près n’importe quoi à Marx, au gré de son ambition électorale ridicule.

    *

    On peut dire également de Mère Térésa de Calcutta, très politiquement incorrecte elle aussi comme Marx, qu’elle s’est dépensée sans compter. Contrairement à ce qu’a pu dire Jean-Paul II, sainte Thérèse de Lisieux n’est pas particulièrement “antijanséniste”. C’est bien plutôt Mère Térésa qui est une sainte “marxiste”, au point qu’elle a pu agir dans le sens des Évangiles pendant de nombreuses années, sans même avoir la foi ! Un tel “matérialisme” est si scandaleux pour les bourgeois que les démocrates-chrétiens ont tenté de l’occulter.

    *

    Maintenant quelle différence y a-t-il entre “se dépenser sans compter” et “se gaspiller” ? Dans ce domaine, non pas abstrait mais humain, Dieu seul est un juge équitable… Il semble cependant que Sarkozy fournisse un bon exemple de gaspillage ; le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’économise pas ses gesticulations et sa salive (On dirait une mise en scène vulgaire de Jérôme Savary), et qu’il ne nous épargne pas au passage.

  • Créationnisme (13)

    On connaît le mot de Chesterton selon lequel le monde actuel serait plein d’idées chrétiennes dévoyées.
    Famille chrétienne, dernier magazine démocrate-chrétien en circulation, fournit la preuve presque chaque semaine de l'inaptitude à raisonner de façon authentiquement chrétienne, de l'évanouissement de la raison consécutif à l'évanouissement de la foi.

    Dans le dernier numéro de ce magazine, on peut lire une interviou de Jean Jaume, un évolutionniste démocrate-chrétien plus ou moins paléontologue, le genre de bavard qui comme son confrère anglo-saxon Stephen Gould remplit des bouquins et des bouquins de considérations générales, au détriment de la vraie science (celle d’un Réaumur, par exemple).
    Pour situer exactement le niveau de la prose de ces pantins, il faut dire que ce ne sont même pas des historiens des sciences sérieux, ni des vulgarisateurs compétents comme Claude Allègre… ni même des auteurs de science-fiction habiles comme Buffon ou Darwin !

    “En dehors de toute conception religieuse”, ce Jaume entend démontrer dans son bouquin que Darwin n’est pas le seul théoricien de l’évolution valable. Tu parles d’un "scoop" ! Enterrer Darwin pour ressusciter Teilhard de Chardin, tu parles d’un progrès !
    Jean Jaume résume la théorie de Darwin comme un mélange de sélection naturelle et de hasard - un hasard “pondéré”, en quelque sorte. Si la théorie de Darwin est bancale, pourquoi ne pas lui en substituer une encore plus déconnante ? Voilà à peu près la logique des démocrates-crétins.

    “En dehors de toute conception religieuse” : on peut être certain que ce préambule naïf, un "leitmotiv" de Gould également, annonce une tonne de préjugés démocratiques assénés avec la bonhomie de Pangloss. En effet, pas plus tard que quelques lignes plus bas, vient la conclusion définitive de Jean Jaume, ô combien prévisible :
    « On ne peut plus prétendre, aujourd’hui, avoir une démarche scientifique et être non-évolutionniste. »
    Tout est dit dans cette démonstration, ce credo, de l’esprit démocratique et “libéral” : amen !
    L'espèce de croyants la plus dangereuse qui soit, c'est bien celle des croyants qui ignorent qu'ils croient, parce que c'est l'espèce la plus bête. La "bêtise" des démocrates fait encore plus peur que la "méchanceté" des nazis.

    *

    J’en profite pour noter au passage le discernement de Marx et ce petit “tour” que lui a réservé l’histoire.
    Pour Marx, Malthus et Darwin - qui s’est largement inspiré du précédent -, n’ont qu’une valeur limitée : ils ont le mérite à ses yeux d’ébranler profondément les valeurs de la bourgeoisie. Au plan scientifique en revanche, Marx n'est pas dupe du manque d’originalité, pour ne pas dire plus, de Malthus et de Darwin, de leurs erreurs quasi-volontaires. Il qualifie l’Essai sur le principe de la population (1803) de “pasquinade”.

    Mais Marx sous-estimait le cynisme de la bourgeoisie. La classe dominante n’a en effet pas hésité longtemps à propulser Malthus et Darwin, ces deux plagiaires, au rang d’idoles, à leur construire des autels et à excommunier tout ceux qui osent pointer du doigt la faillite de leur idéologie. On n'arrête pas le cours du progrès, mais on peut l'inverser apparemment.

  • Marx pour les Nuls

    J.M. Keynes sur le plan de l'économie d'une part, et Max Weber sur le plan de la sociologie d'autre part, ont opéré un démantèlement de la synthèse marxiste. Ce démantèlement, qu'on peut qualifier de "récupération par la bourgeoisie libérale des principes marxistes", ôtent à Marx toute sa cohérence et par conséquent sa force. Ce n'est pas un hasard si Alain Minc, représentant de l'oligarchie libérale, a fait rédiger une biographie de Keynes, qui marque l'attachement de la classe dominante à des idées rétrogrades.

    Les principes sociologiques de Weber et les principes économiques de Keynes, qui imprègnent toutes les politiques libérales, de gauche comme de droite, sont caducs ; ils ont pu faire illusion au début, alors que la mondialisation décrite et anticipée par Marx n'en était qu'à ses balbutiements. Marx, lui, a conservé toute sa modernité.

  • Ma conversion

    Petit retour en arrière sur ma conversion au marxisme qui date d’il y a deux ans tout au plus. A dire vrai, j’ai toujours eu une conception marxiste de l’art, sans le savoir. J’ai toujours tenu les artistes contemporains pour des valets du capitalisme et l’artiste, au sens noble du terme, comme un artisan politique.
    Mon retard à découvrir Marx, à trente ans passés (!), a plusieurs causes ; un préjugé religieux, d’abord : je croyais que Marx était un de ces athées stupides comme Nitche, à cause des idées assez fausses que le parti communiste propage sur Marx ; alors que Marx et Nitche divergent complètement ! C’est la mort de la philosophie que Marx décrète ou appelle de ses vœux.
    Ce qu’il y a de séduisant au premier abord dans le marxisme pour quiconque a une « disposition artistique », c’est sa cohérence, comparé aux billevesées libérales.
    Les artistes sont amoureux de l’ordre. Il n’y a qu’à regarder une eau-forte de Rembrandt pour le comprendre. Je suis persuadé que ce qui a dégoûté Baudelaire de la révolution, alors qu’il était proche de son principe, c’est l’anarchie qui en découla. Idem pour Delacroix.
    Quand je tombe sur Finkielkraut à la télé, pas plus tard qu’hier soir, j’ai une réaction quasiment épidermique de rejet. Finkielkraut tient à la fois du caméléon, ses vues s’adaptent à celles de son interlocuteur ou aux circonstances, et de l’anguille pour sa façon d’éviter de se mouiller en faveur de tel ou tel, et de la volaille pour son arrogance et sa superficialité. En dernier ressort, lorsqu’il se sent acculé, et n’importe quel sous-réthoricien a les moyens d’engluer Finkielkraut dans sa propre toile, en dernier ressort Finkielkraut n’a qu’un seul argument, racial : « Oui, mais je suis Juif ! ». Au plan ethnologique un cas d’espèce intéressant à condition de surmonter son dégoût. BHL fait figure de Philistin « classique » à côté.
    Mais une telle hybridation, si elle a un côté burlesque « médiéval », est trop révélatrice du degré de médiocrité de l’élite bourgeoise pour prêter à sourire franchement.

    *

    La sûreté du jugement littéraire de Marx n’est pas un mince argument en sa faveur non plus. Shakespeare est une des figures de proue de la bibliothèque de Karl Marx. Au point qu’il fit apprendre par cœur à ses filles des actes entiers de Shakespeare. Les lettres de sa fille Laura sont étonnantes ! On a là l’idée du résultat que peut donner une éducation aristocratique. Quel rapport avec ces mères qui se débarrassent de leurs gosses entre les mains d'instituteurs à demi-savants pour aller glaner un peu d’oseille par ailleurs et qui ont le culot de se plaindre ensuite de  récupérer à la sortie de cette usine à gaz des nouilles mal élevées ? Fossé aussi entre Marx et les bourgeois contemporains qui font lire à leurs enfants des mièvreries comme Harry Potter, « pour leur donner le goût de la lecture », ah, ah ! - bouquins que les gamins en général, pas si cons, s’empressent de refourguer par-derrière en échange de quelques bonbons, quand ce n’est pas un téléphone portable pour singer leurs parents.
    L’exemple de Shakespeare est important car il contient le principal malentendu à propos de Marx, une galéjade en réalité, mais dans la société où nous sommes il faut TOUT expliquer. En effet, de la même manière que Marx, Shakespeare est suspect aux yeux des bourgeois d’être « matérialiste » ou « cynique », alors que c’est l’écrivain le plus spirituel de l’Occident moderne !
    Enthousiasme de Marx pour Balzac également. En ce qui me concerne, je préfère Barbey d’Aurevilly, plus aiguisé à mon avis que Balzac. Mais on reste en famille. Pour être équitable, Marx aimait aussi se distraire avec les enfantillages d’Alexandre Dumas. Comme quoi nul n’est parfait, même pas Marx.

  • Deux dissidents allemands

    Le rapprochement s’impose entre Benoît XVI et Karl Marx. Peu ou prou ils sont nés dans le même berceau politique. Ils ont décidé tous les deux de sacrifier leur existence à un dessein supérieur, renoncé à une vie facile. Intérêt commun pour la philosophie, religieuse, politique. Deux hommes libres isolés au milieu les esclaves.

    Comme Benoît XVI, Marx prône la raison, c’est-à-dire l’Occident. Or, raison et foi sont indissociables. C’est une évidence pour Benoît XVI, ça l'est également pour Marx : celui-ci était trop bien éduqué pour ignorer le rapport étroit qu’il y a entre la foi et la raison. J’ose dire qu’il le sait même mieux que Benoît XVI, car il y a moins d’angélisme chez Marx, qui eût de meilleurs maîtres que Joseph Ratzinger !
    Le matérialisme politique que Marx apporte à la pensée de Hegel et qui lui confère toute sa force n’exclut pas la spiritualité authentique, à ne pas confondre avec l'idéalisme de pacotille que les libéraux introduisent dans le moindre discours, de l'inauguration de la piscine municipale au énième meeting de gynécologie bio, il n'est jusqu'aux pornocrates aujourd'hui qui ne justifient leur maquereautage par le combat en faveur de la liberté, des droits de l'homme et de la femme !

    Dialectiquement, Marx a été forcé de mettre l’accent sur le matérialisme afin de combattre les "néo-hégéliens", comme un général est contraint de dégarnir son aile gauche lorsqu’il est attaqué par la droite.
    Mais, de la pensée de Hegel, infectée d’angélisme kantien, ou de celle de Marx, durcie dans les forges d’Ephaïstos, c’est la pensée de Marx qui est la plus spirituelle. L’histoire l’a prouvé.
    Aristote est le penseur grec le plus universel ; Marx le penseur européen le plus universel. Le catholicisme ne peut ignorer ces deux outils et continuer de se vautrer plus longtemps dans l’existentialisme, le maurrassisme ou le rousseauisme.
    Bien que Benoît XVI s'exprime de façon ambiguë, certains indices laissent penser qu’il n’ignore pas complètement cet enjeu.

    *

    La pensée catholique authentique, incarnée en dernier ressort par Léon Bloy, dernier chef du vieux “parti des pauvres”, est renouvelée par le communisme de Marx, chef du jeune “parti des pauvres”. Il y a là comme un passage de témoin. Marx reconstruit sur les ruines d'une Eglise exsangue, qu'il méprise de s'être laissée envahir par la médiocrité bourgeoises.
    Les recoupements entre Marx et Bloy sont très nombreux. Il n’y a pas d’adversaires plus farouches de la pensée bourgeoise triomphante. Tous les dogmes, toutes les “valeurs actuelles”, Bloy comme Marx les ont mises à nu et en ont percé le cynisme têtu, sous la surface hypocrite.
    L’argument de la pensée bourgeoise pour tenter d’étouffer Marx est le même que pour Bloy : il consiste à retourner l’insulte à l’envoyeur, à traiter Marx et Bloy de bourgeois, c’est-à-dire de pourceaux, d’hypocrites. Bardèche, un des rares bourgeois à peu près honnête, reste assez imperméable au catholicisme de Bloy, mais admet : “Oui, Bloy était vraiment pauvre, il avait l’angoisse du paiement de son terme.”

    La “Renaissance” de Benoît XVI et la “Révolution” de Marx ne sont qu’un seul et même dessein. La seule différence, c’est que la révolution marxiste est plus claire que la renaissance romaine, à peine audible sous les ratiocinages démocrates-chrétiens.
    Est-ce dû aux circonstances ? Est-ce que Benoît XVI est plus isolé encore que ne l’était Marx ? C’est possible. Car l'étau s'est resserré depuis Marx. Les actions de la bêtise ont grimpé en flèche ; c'est la valeur la plus sûre actuellement.

    *

    Les concessions faites par Benoît XVI aux valeurs bourgeoises sont ici en question. Ainsi, les exhortations de Benoît XVI sont traduites en France par des démocrates-chrétiens bourgeois. Et que nous servent ces collabos ? Des sermons jansénistes-existentialistes ! « Mes bien chers frères, gardez-vous d’agir, comme de bons bourgeois que vous êtes ! À la rigueur priez, priez la Grâce pour qu'elle travaille à votre place… »
    La Grâce cotée en Bourse, la Grâce esclave de l’humanité, le jansénisme est parvenu à terme.

    Ce n’est pas raisonnable de la part de Benoît XVI de ménager ainsi les valeurs actuelles et la bourgeoisie. Ces valeurs, cette bourgeoisie, à plus ou moins longue échéance, c’est la banqueroute qui l'attend. Ça serait de la folie que d’entraîner Rome dans cette faillite.

  • Marx pour les Nuls (4)

    Si on pouvait douter naguère du bien-fondé de la méthode d'investigation de Marx, le doute n'est plus permis aujourd'hui. Il y a cette preuve flagrante, il suffit d'appuyer sur le bouton de la télé pour l'obtenir : comment des types comme François Pinault, BHL, Guy Sorman, Finkielkraut, Sollers, Luc Ferry, et toute la clique, avec des idées aussi faibles, à faire passer Tariq Ramadan pour un humaniste, comment ce parti-là peut-il avoir le pouvoir et le conserver ?

    C'est précisément la preuve que son pouvoir vient d'ailleurs que de la poésie et des idées.

  • Marx pour les Nuls (3)

    Comment un marxiste peut-il reconnaître un libéral à coup sûr ? (Tous ne portent pas une casquette de base-ball ou des ray-ban, il en est même qui se disent trotskystes ou marxistes, voire catholiques.)

    Mon piège préféré : faire lire un roman d'Evelyn Waugh. Si le sujet rit, c'est qu'il n'est pas vraiment "libéral".

     Maintenant, comment reconnaître un PHILOSOPHE libéral ? Parlez d'art et de politique en même temps, tout naturellement. Ce sont des terrains où le philosophe libéral est très mal à l'aise. Déjà, il ne voit même pas le rapport.

     

     

  • Marx pour les Nuls (2)

    Depuis Jean-Jacques Rousseau, Diderot, Voltaire, la pensée libérale n'a fait que décliner, lentement mais sûrement. Pour être exact, elle a fait le chemin de la poésie à la logorrhée. Kant et Nitche sont des étapes décisives, que Schiller et Goethe compensent à peine.

    On va dire : "Mais les idées de Rousseau, celles de Diderot, déjà, sont bêtes !" Certes, mais Diderot, et surtout Rousseau, en sont conscients. Ils ne sont pas aveugles et entêtés. Lorsque l'abbé Galiani démontre à Diderot que les idées économiques libérales sont simplistes, Diderot l'admet sans faire la mule. On subodore que c'est le simplisme même de ces idées qui a séduit Diderot, esprit rêveur - qui retombe aussitôt d'ailleurs dans ses rêveries.

    Mais cette franchise d'un philosophe libéral à admettre son erreur, cette liberté-là est perdue depuis longtemps, il n'y a plus que de féroces crétins, qui, dès qu'ils dénichent un esprit libre, un esprit différent, d'où qu'il vienne, le traquent comme un lapin.

    Bête, Jean-Jacques ? Certainement pas, il choisit ses idées en fonction de leur beauté plastique et pas de leur vérité. Il a l'intelligence de son art. Au demeurant les idéologues libéraux ont pioché chez Rousseau ce qui les arrangeait. Si ce genre d'exercice avait de l'intérêt, on pourrait faire la démonstration que Rousseau n'est pas si loin de Maurras au plan des idées. "La politique d'abord", répète Rousseau.

    Le bon sens, Voltaire en avait sans doute un peu plus, mais il le gardait pour lui. On lui doit quand même Pangloss, qui préfigure le crétin capitaliste moderne, Guy Sorman par exemple, qui nous affirme, au nom du pragmatisme - tant qu'à faire -, que son système inéluctable est le meilleur des mondes possibles.

     Ils s'appelaient "philosophes" mais c'étaient des poètes, épatés par le bon sens anglais, qui leur était étranger. ll y a quelques jours à la télé, BHL était confronté à Daniel Herrero, une sorte de rugbyman poète. Le lyrisme de cet Herrero, qui n'est pourtant pas Chateaubriand, fit pâlir notre philosophe ; chose incroyable, il baissa même les yeux. Cet Herrero l'avait mis à poil. Ni conscience ni candeur.

     

  • Marx pour les Nuls (1)

    Je tombe par hasard sur le site d'Alain Soral sur une phrase de Roland Gaucher, un ex-pote de Le Pen aujourd'hui décédé qui dit à peu près : "Maurras et Karl Marx sont utiles pour qui veut bien comprendre la politique."

    En réalité, lorsqu'on lit Marx on comprend à quel point Maurras et la politique, ça fait deux. Bref, si on est pressé, on n'est pas obligé de lire Maurras, on peut passer à Marx directement.

    Quant à Le Pen lui-même, je ne crois pas à sa conversion au marxisme une seconde. Même s'il a un petit côté Lénine, fondamentalement Le Pen est un anarchiste, un trublion, ce qui explique pourquoi il a été séduit à la fois par les thèses libérales (Blot, Mégret, Le Gallou) et maurrassiennes. Le libéralisme, l'anarchie et le royalisme ne sont que trois facettes d'une même utopie, que chacun choisit en fonction de son tempérament.

    D'ailleurs Le Pen comme son pote Gaucher, je crois, est l'auteur d'une étude sur le mouvement anarchiste, je ne parle pas des guignols qui servent de service d'ordre à l'UNEF dans les manifs aujourd'hui.

  • Deux bulldozers

    Marx est un peu aride pour certains ; et Aristote et Platon ? Il faut dire que les exégètes du Parti communiste français, tel Althusser, n’ont pas aidé à rendre Marx plus vivant.

    Outre Shakespeare, Dickens, Balzac, dont la parenté spirituelle avec Marx est évidente et revendiquée par lui, difficile de ne pas faire entrer Evelyn Waugh (1903-1966) dans ce cercle. Plusieurs aspects de son roman-culte Vile Bodies (Ces Corps vils), notamment, évoquent fortement le "style" de Marx, son mode de raisonnement moderne.

    Ce n’est pas vraiment une surprise dans la mesure où Waugh est Anglais et que Marx est très influencé par la pensée anglo-saxonne, plus encore que les philosophes français des Lumières qui admiraient la politique anglaise sans vraiment chercher à la comprendre.

    *

    Au centre de Vile Bodies, la description d’une course automobile sur un circuit, est comme une métaphore du système capitaliste. Waugh insiste sur la bassesse morale des pilotes, la concurrence à mort qu’ils se livrent, l’absurdité de ce spectacle ennuyeux - à la limite de l’indécence.
    Un autre aspect : l’importance cruciale des classes sociales ; Waugh pose un regard lucide sur l’aristocratie anglaise ; bien qu’elle l’attire, il raconte sa déchéance.
    Mais Waugh, qui a tout fait pour épouser une aristocrate comme Marx, n’est pas communiste : il ne croit pas que la civilisation puisse se passer de l’aristocratie.

    Le plus caractéristique peut-être : Waugh s’abstient le plus possible d’entrer à l’intérieur des personnages de sa comédie humaine moderne. Ils sont déterminés par leurs faits et gestes, leur appartenance sociale.
    Nous sommes remplis d’illusions et de mensonges sur les autres et sur nous-mêmes.
    À partir de deux ou trois indices on a vite fait de déduire l’évolution de l’humanité du singe au métrosexuel ou à la femme libérée, i-pod dans l’oreille et sudoku sur les genoux.
    À partir de deux ou trois indices on a vite fait de s’attribuer un subconscient et un inconscient pour pallier son manque d’épaisseur.
    À partir de deux ou trois indices on a vite fait de se fabriquer une panoplie de super-héros et de rivaliser avec les dieux de l’Olympe. Etc.

    Ce qui intéresse Waugh comme Marx, c’est la vérité. Les idéologies personnelles, les petites chapelles privées que la démocratie stimule et entretient ne résistent pas à ces deux bulldozers.

  • Kirche, Küche und… Kapital !

    Ce coup-ci, ça y est, avec la célébration de la Saint-Valentin cette semaine dans les églises du diocèse de Paris, je crois qu'on a touché le fond. Pas le fond du mauvais goût, non, ça ça ne date pas d'aujourd'hui, et l'Église peut sans doute survivre longtemps au ridicule. Là c'est plutôt le summum du MARKETING qui est atteint. Et c'est sans doute plus grave.

    Il ne faut pas se raconter de blagues mystiques, de tout temps les évêques se sont majoritairement soumis aux diktats contraires des autorités politiques, y compris dans le domaine de la morale. Les martyrs, les Thomas More, sont plutôt rares. Je ne nie pas leur courage, mais même les prêtres réfractaires, pour beaucoup d'entre eux ont été soutenus par tout un corps social, un corps social menacé, certes, mais un corps social quand même.

    Mais la soumission empêche-t-elle le rappel des principes catholiques aux ouailles catholiques ?
    À propos du mariage, qu'en est-il, quel est le modèle que l'Église propose désormais, en quoi est-il différent du modèle laïc ? J'écoutais l'abbé de La Morandais l'autre jour, invité à la télé pour y défendre le mariage chrétien, et pourtant La Morandais n'est pas le plus soumis des prêtres, eh bien pas une seule fois en une heure de plateau il n'a parlé de la famille, des enfants ! Pas une fois : « Le couple, le couple, le couple… »
    Le Père La Morandais s'est contenté d'une morale, disons… stoïcienne, ce qui est toujours mieux que la morale petite-bourgeoise, dans un régime démago-capitaliste, je ne dis pas, mais que restera-t-il du catholicisme en Europe lorsque le clergé l'aura converti entièrement en une morale stoïcienne ?

    Contre la philosophie contemporaine de la morale sexuelle catholique, un peu d'Histoire : la question de la limitation des naissances obsède les féministes depuis au moins un siècle aux États-Unis, dans cette grande nation entièrement dévouée à l'accumulation des richesses. Y compris les féministes catholiques, suffisamment organisées pour faire pression sur les cardinaux réunis au Concile de Vatican II et les obliger à théoriser sur la limitation des naissances, ce qu'ils n'étaient pas disposés à faire a priori (Pour plus de détails sur les circonstances de ces pressions féministes, on se référera au théologien J.-M. Paupert.)
    Ces pressions féministes ont abouti à forger de toutes pièces ce que certains démocrates-chrétiens appellent sans rire "la contraception naturelle" ; et tout un un blabla proprement écœurant sur le fonctionnement des ovaires que l'homme catholique moderne serait censé connaître par cœur. Pincez-vous, vous ne rêvez pas, vous êtes dans un presbytère et Monsieur le Curé vous donne un cours de morale sexuelle. Ah, ah, comme d'habitude, j'exagère, les prêtres ont tous désormais au moins bac+5, ça ne veut pas dire pour autant qu'ils parlent latin ni même hébreu couramment, mais ils sont capables de discerner en quoi cette prétendue méthode "naturelle" est en réalité la plus technique et la plus sophistiquée des méthodes de contraception disponible sur le marché occidental.

    Donc ce cours de morale sexuelle est confié dans les faits à quelque bigote de la paroisse, aussi fanatique que dévouée. Attention : si vous lui faites remarquer qu'elle débloque complètement, elle vous coupera les couilles, avec une demande d'excommunication envoyée à Rome subito presto.

    J'ai l'air de plaisanter comme ça, mais d'ici quelques années les catholiques n'auront presque plus affaire qu'à des gargouilles de ce genre. Et les bonnes sœurs ? il y aurait beaucoup à dire sur les bonnes sœurs, le nombre de martyrs parmi les prêtres qu'elles ont pu faire dans les années quatre-vingt, les obligeant à voter pour Georges Marchais, les poussant véritablement à l'alcoolisme ou à la démence. Je n'étais qu'un petit lapereau à l'époque, mais j'ai bonne mémoire.

    Au-delà des principes, qu'est-ce que ça change ? Un dialecticien futé pourrait me rétorquer : pas grand-chose. Les statistiques montrent que les familles chrétiennes ont plus d'enfants que les autres, et donc que la méthode Billings, ils l'appliquent par-dessus la jambe, ils ne connaissent pas le fonctionnement des ovaires par cœur, ils ne font que simuler. Heureusement d'ailleurs, ça serait quand même un comble que la plupart des catholiques ne connaissent plus leur catéchisme par cœur mais qu'ils possèdent la mécanique des ovaires sur le bout des doigts !

    Non, c'est plutôt la chasteté qui se trouve modifiée par ces laïus improbables, la chasteté si pénible à saint Louis (selon Jacques Le Goff).
    Dans la morale traditionnelle catholique, qu'on peut qualifier d'augustinienne, la chasteté est entre les mains du clergé. C'est le clergé qui décide des périodes d'abstinences, de les réduire pour faire plaisir aux hommes, de les étendre pour faire plaisir aux femmes. Dans cette morale sexuelle contemporaine de bigotes fanatiques, la chasteté, on l'a compris, est entre les mains des femmes elles-mêmes, désormais. Au fond, tout ces pouvoirs qu'elles n'avaient pas auparavant, d'où le tirent-elles ? Eh bien mais de la division du travail dans le mode de production capitaliste, pardi !